Le Figaro, le 12 avril 2005.
Brecht aux champs
THÉÂTRE MUSICAL
Lux in tenebris, de Bertolt Brecht par le Piccolo, petit théâtre mobile de la Comédie de Saint-Etienne
PLAISIR D’ASSISTER à un spectacle de qualité au Gymnase de Chazelles-sur-Lyon. Un Brecht grinçant et sombre à souhait, bien servi par une mise en scène ironique et très enlevée, et prestement joué/chanté par un contingent de jeunes gens plein de brio.
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Ajoutant abondance de musiques et chansons, Kurt Weil, mais aussi bien Yvette Guilbert, à cette pièce en un acte peu courue de l’auteur de l’Opéra de Quat’sous, Béatrice Bompas avec la complicité dynamique d’une distribution qui puise ses neuf comédiens dans les quatre dernières promotions de l’École de la Comédie de Saint-Etienne, met en place un solide et réjouissant théâtre musical. Atmosphère entre-deux guerres, lumières tranchées, maquillages expressionnistes, costumes masculins rendant les silhouettes androgynes, le spectacle fait assez revue de cabaret, le genre en vogue, à Berlin, dans ces années-là. D’autant qu’une véritable chorégraphie expressive et stylisée accompagne tous les déplacements réglés au cordeau des corps toujours en mouvement. Simplicité et efficacité caractérisent la scénographie qui consiste en une sorte de podium allongé à plusieurs niveaux et multiples entrées. Sur cet espace restreint et pourtant riche en possibilité, et qui quelque part suggère bien la promiscuité urbaine et l’espace chahuté d’un Grosz ou d’un Dix, le jeu se déploie la plus souvent en frise, exploitant intelligemment l’asymétrie et les différences de degrés. Un jeu tout en ruptures, et distancié jusqu’à la parodie crânement assumée.
Nelly Gabriel