Chapitre 1- Ma famille anormalement gentille
Ma mère souffrait beaucoup. Elle était souvent malade et gardait le lit. Papa était si fort, lui. "Calme-toi, voyons. Qu'est-ce qui t'inquiète? Pourquoi t'énerver ainsi?", disait-il, de la main lui faisant signe de s'apaiser. Rien n'arrêtait mon père. À soixante-seize ans, il joue encore au tennis et conduit son automobile à toute allure.
D'aspect robuste, comme papa, nous aspirions intérieurement à la "faiblesse" de maman. Celle-ci se tenait à l'écart, dans l'ombre. "Mary, sors donc avec les autres, moi je ne ferais que vous gêner." J'aimais passionnément ma mère et désirais qu'elle me dorlote. Elle était plus vraie, moins "à part" que mon père. Ma soeur Dorothy disait souvent : "Je veux être une femme ordinaire, comme maman." Ma mère était vraiment contente de se considérer comme une femme "toute simple". Elle ne se fardait jamais, ne prenait aucun plaisir à s'habiller et avait toujours porté les cheveux courts, avec une frange. En grandissant, je me mis à avoir honte, moi aussi, de me regarder dans la glace, de me maquiller, d'être jolie et séduisante.
Contrairement à ma mère, je ne voulais pas me glorifier d'être une femme ordinaire. Pourtant, j'imaginais qu'il était honteux d'être autre chose. Si seulement j'avais été un garçon. Je me serais mariée. Les filles doivent attendre qu'on les demande, disait ma mère. Cela me tourmentait. Comment le saurais-je? Un homme viendrait-il me dire : "Je veux vous épouser?" Quand vous donne-t-il la bague?
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Mary Barnes/Joseph Berke, «Mary Barnes un voyage à travers la folie».
Ed. Points 1976.